Le brutalisme, ce mouvement architectural né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, incarne une esthétique sans compromis, une fusion audacieuse de la forme et de la fonction. Ses structures massives, ses lignes brutes et sa préférence pour les matériaux industriels ont révolutionné la manière dont nous percevons l'espace construit. Le brutalisme s'est élevé en tant que déclaration visuelle de la modernité, exprimant une vision d'un monde reconstruit et marqué par la technologie et l'industrialisation.
Ceux qui critiquent l'architecture brutaliste ne cessent de répéter leur opposition à ses caractéristiques les plus superficielles : son caractère froid et brutal, ainsi que le sentiment de menace qui émane de ses postures austères.
Ce qu'ils veulent vraiment dire, c'est que le brutalisme manque d'humanité, mais c'est précisément là son véritable intérêt. Le brutalisme désigne l'architecture comme son propre corps, une entité indépendante de la main de son créateur. Elle est vivante et intimidante, une créature sculptée par la ville, se dressant avec des muscles aiguisés de roche et une masse imposante de béton.
Les pharaons et les anciens rois mayas avaient compris le pouvoir de commandement des formes brutalistes. Leurs pyramides et leurs prismes de pierre dure s'élevaient vers le ciel au-dessus des canopées verdoyantes et des sables désertiques, avec des angles exigeants et des escaliers abrupts qui prétendaient être fonctionnels.
C'est l'intimidation par la grandeur et la pureté du design. Ce que les détracteurs du brutalisme n'apprécient pas, c'est sa construction dépourvue d'élégance et de décorations. Au contraire, ces bâtiments sont des menaces monolithiques, hostiles à l'extérieur et aussi insurmontables qu'un avertissement. On ne regarde pas cette architecture, on l'observe comme un cyclope, elle nous conquiert en permanence.
Le brutalisme, bien que né dans le domaine de l'architecture, a trouvé un nouveau terrain fertile dans le domaine du jeu vidéo. Ce medium interactif permet d'explorer et de matérialiser des mondes virtuels d'une manière sans précédent, offrant aux concepteurs de jeux une palette créative pour expérimenter de nouvelles esthétiques. En appliquant les principes du brutalisme au design des environnements virtuels, le jeu vidéo offre une expérience immersive unique, mettant en valeur les caractéristiques distinctives de ce mouvement architectural.
Ce medium permet d'exploiter pleinement les caractéristiques uniques du brutalisme. Du sentiment oppressant et dystopique qu'il génère, à l'exploration de mondes inédits et à la réflexion sur la condition humaine et la société, le brutalisme vidéoludique déploie tout son potentiel artistique et conceptuel.
Fondements du brutalisme dans le jeu vidéo
Dans le contexte du jeu vidéo, le brutalisme se définit comme un style architectural virtuel qui puise ses inspirations dans les principes du mouvement brutaliste réel. Il s'agit d'une esthétique qui privilégie les formes géométriques brutes et massives, l'usage de matériaux industriels et de textures rugueuses, ainsi que d'une esthétique minimaliste et fonctionnelle. Le brutalisme vidéoludique repousse les limites des possibilités créatives, tout en créant des environnements visuellement saisissants et émotionnellement évocateurs.
L'influence des mouvements artistiques sur le brutalisme vidéoludique
L’application de ce courant dans le domaine du jeu vidéo s'inspire de divers mouvements artistiques pour forger son identité esthétique distinctive. Trois mouvements en particulier ont eu une influence majeure : l'expressionnisme abstrait, le constructivisme russe et le surréalisme.
L'expressionnisme abstrait
L'expressionnisme abstrait, avec son exploration des émotions et des formes non représentatives, a exercé une influence significative sur le brutalisme vidéoludique. Les jeux adoptant cette esthétique embrassent souvent une palette de couleurs audacieuse et contrastée, ainsi que des formes abstraites qui évoquent des émotions intenses. Ils cherchent à capturer l'essence de l'expression brute et à stimuler une réaction émotionnelle chez les joueurs.
Le constructivisme russe
Le constructivisme russe, avec son utilisation de formes géométriques simples et son engagement envers l'art fonctionnel, a façonné le brutalisme vidéoludique. Les jeux inspirés par le constructivisme russe adoptent des lignes épurées, des structures modulaires et une géométrie rigoureuse, créant ainsi des espaces architecturaux à la fois esthétiquement plaisants et fonctionnellement logiques.
Le surréalisme
Le surréalisme, célèbre pour ses explorations de l'inconscient et du rêve, a également joué un rôle clé dans l'influence du brutalisme vidéoludique. Les jeux inspirés du surréalisme intègrent souvent des éléments visuels surréalistes et des environnements surréalistes, défiant la réalité et créant une expérience immersive et onirique pour les joueurs.
Caractéristiques esthétiques du brutalisme vidéoludique
Les formes géométriques brutes et massives s'élèvent telles des créatures sculpturales dans le paysage du brutalisme vidéoludique. Ces jeux, tels des architectes numériques, erigent des structures imposantes qui jouent avec les angles, les blocs massifs et les volumes monumentaux. La grandeur et la robustesse de ces formes frappent l'œil du joueur, affirmant leur présence solide et indéniable au sein de l'environnement virtuel.
Le brutalisme vidéoludique, dans son essor, embrasse les matériaux industriels avec une ferveur déterminée. Béton, acier, verre – ces matériaux froids et fonctionnels s'imposent, conférant aux mondes virtuels une atmosphère brute et austère. Les textures rugueuses et les surfaces non raffinées ajoutent une dimension palpable à l'expérience du joueur, lui offrant un contact tangible avec ces structures virtuelles.
Le minimalisme devient un credo sacré dans le brutalisme vidéoludique. Les ornements superflus sont rejetés, laissant place à une esthétique épurée et pragmatique. Les formes géométriques simples et les lignes épurées évoquent une fonctionnalité intrinsèque, révélant ainsi la primauté de la structure dans la conception des environnements virtuels brutalistes.
Les sources d'inspiration du brutalisme vidéoludique s'enracinent dans des mouvements artistiques et architecturaux. L'expressionnisme abstrait, le constructivisme russe et le surréalisme, entre autres, irriguent son essence. Ces influences se mêlent et se transforment, adaptées avec ingéniosité pour créer des mondes virtuels captivants et esthétiquement saisissants. Le brutalisme vidéoludique est une fusion d'idées, un dialogue entre l'art et le jeu, entre l'architecture et la narration, donnant vie à des expériences artistiques d'une puissance conceptuelle inégalée.
Ainsi, le brutalisme vidéoludique s'épanouit pleinement, embrassant les formes géométriques brutes, les matériaux industriels et l'esthétique minimaliste. Dans cet élan artistique et conceptuel, il transcende les frontières entre le jeu vidéo et l'architecture, offrant aux joueurs une immersion sensorielle sans précédent. Avec une vision audacieuse, il nous transporte vers des horizons inexplorés où la beauté se trouve dans l'austérité, où la grandeur se trouve dans la simplicité.
NaissanceE
C'est dans l'appréciation ésotérique de la puissance et de l'effroi du brutalisme que réside son récent regain d'intérêt. Au sein de cercles restreints, il se lie à des intérêts similaires pour un design épuré et des paysages sonores inquiétants. En d'autres termes, le brutalisme émerge progressivement dans le monde des jeux vidéo, à travers des œuvres d'une ampleur colossale qui, grâce à la liberté offerte par leur forme numérique, permettent d'explorer pleinement tout le potentiel esthétique.
Parmi ces œuvres, NaissanceE se distingue indéniablement comme l'exemple le plus abouti. Il transporte les joueurs dans un voyage fascinant à travers des environnements brutalistes d'une beauté troublante. La fusion de la conception architecturale brutale avec des éléments de sound design évocateurs crée une expérience immersive unique, où la grandeur et l'hostilité de l'architecture se mêlent à des paysages sonores saisissants pour envelopper les joueurs d'une atmosphère énigmatique et profonde.
Il y a quelque chose de presque sacrilège à essayer de décrire les sensations que l'on éprouve en se déplaçant dans le monde de NaissanceE. C'est un jeu d'exploration mesurée, d'introspection privée et solitaire. Qu'il s'agisse de se faufiler entre des ouvertures basses dans des piles de décombres cubiques ou de tomber d'un précipice à peine visible à un autre dans une énorme fosse à l'échelle grise, le rythme de compréhension et de navigation dans l'architecture bizarre du jeu est lent. Et parce que le décor de NaissanceE est composé d'images et de sons si étranges, le temps qu'il offre à la réflexion personnelle conduit souvent l'esprit du joueur vers des lieux étranges et numineux où l'émerveillement et la terreur s'entremêlent.
Contrairement au level design d'un studio comme Valve, qui utilise des repères visuels pour suggérer des chemins intuitifs, le développeur de NaissanceE, Limasse Five, obscurcit délibérément le chemin à suivre pendant la majeure partie de son jeu. Le joueur trébuche souvent dans des zones noires, déplaçant lentement le point de vue à la première personne dans l'espoir d'apercevoir la moindre parcelle de lumière ou d'illumination floue. Souvent, une fois qu'un chemin a été trouvé, la façon dont il doit être suivi semble erronée. De minuscules marches, si petites qu'elles semblent presque décoratives, jaillissent du côté d'un mur surplombant une chute de plusieurs kilomètres ; un puits sombre et apparemment sans fin se cache dans l'ombre derrière un énorme pilier. Tout ce que le joueur connaît en matière de sécurité lui conseille de trouver un autre moyen d'avancer. Mais NaissanceE enseigne rapidement que le chemin le plus contre-intuitif est souvent le bon.
Le design brutaliste du monde - des conduits d'aération parfaitement rectangulaires, des dalles géantes de murs lisses et sans caractéristiques - suggère une fonctionnalité étrangère à ce qui apparaît au public comme absurde. En tant que Lucy, la protagoniste de NaissanceE, le joueur se sent insignifiant dans des structures qui alternent entre l'énormité tentaculaire et ouverte et l'étroitesse claustrophobique. Tout est conçu de manière à ce que le joueur ait l'impression d'être soit beaucoup trop grand pour habiter un espace physique, soit si petit qu'il n'a rien à voir avec l'échelle gigantesque d'une zone.
Control
L'œuvre d'architecture brutaliste la plus influente de l'histoire récente a été construite en 2019 et accueille plus d'un million de visiteurs par an. Appelé simplement Oldest House, le gratte-ciel monolithique de Manhattan est la toile de fond dans laquelle se déroule le célèbre jeu vidéo Control. Développé par Remedy Entertainment et publié par 505 Games, la représentation de l'architecture dans Control nous donne une forte lecture de la sensibilité et du désir contemporains. Cela mérite de prendre au sérieux la Oldest House en tant qu'objet architectural dans son contexte culturel.
Rien n'a mieux tiré parti de ce tourbillon culturel qu’est le Brutalisme que Control. Le bâtiment est l'analogue contemporain d'une maison hantée ; grâce à sa forme numérique, le bâtiment lui-même peut se déplacer et bouger comme s'il était vivant (ce qui est explicitement sous-entendu dans l'histoire du jeu). Le bâtiment est un personnage avec sa propre autonomie impersonnelle et ombrageuse, mais le rôle du joueur est de purger la maison d'une infection causée par une force surnaturelle hostile appelée le Hiss.
Les espaces aliénants et silencieux du bâtiment créent un environnement impitoyable, rendant flous les obstacles exacts que vous affrontez et leurs objectifs. Luttez-vous contre la maison elle-même ou contre son infection ? La maison est-elle mon ennemie ou mon alliée ?
L'examen des exemples spécifiques d'architecture échantillonnée révèle que le jeu ne se limite pas au brutalisme. Dans Control, le Bureau fait référence à la Oldest House comme à un "lieu de pouvoir", une structure paranormale significative qui agit comme un nexus vers des réalités alternatives potentiellement infinies. Le jeu signale cette propriété en centralisant chaque espace que vous visitez, ce qui est codifié par la masse, la structure, la profondeur, la surface, la répétition et la symétrie. Combiné à l'emprunt de tant d'œuvres variées, il en résulte une architecture qui est moins un commentaire vague sur la capacité du brutalisme à submerger ou à aliéner, que sur l'institutionnalité - même le mobilier de bureau du milieu du siècle, style Mad Men, renforce la banalité du travail bureaucratique qui se déroule typiquement dans cette structure eldritch. Ce désir s'est concrétisé non seulement dans les jeux vidéo, mais aussi dans des films et des séries télévisées récents. Le Bureau de contrôle dégage la même atmosphère institutionnelle que la Time Variance Authority (TVA) dans la série Loki de Disney+ ou encore que les bureaux de Lumon Industries dans la série Severance de Apple TV+.
Control transcende entièrement l'idée du brutalisme et s'étend au contraire pour devenir une démonstration dramatique du pouvoir surprenant de l'espace narratif. Grâce à l'expansion des technologies culturelles autour de l'espace numérique, nous pouvons commencer à utiliser l'architecture pour impliquer le public de manière novatrice. Les jeux vidéo, en particulier, offrent des expériences qui dépassent de loin la conception originale de l'architecture numérique, et l'expansion rapide du média suggère que le langage et le discours de l'architecture elle-même devront s'adapter. Que se passera-t-il lorsque nous ne pourrons plus rechercher des styles singuliers dans des environnements numériques programmés pour changer ?
Liminal Brutalisme
Les liminal spaces, par leur nature ambiguë et transitionnelle, ont une esthétique particulière qui intrigue et fascine. Ils désignent ces espaces intermédiaires, souvent ignorés ou négligés, qui se situent entre des états ou des lieux clairement définis. Ces endroits de seuil et d'interstice évoquent un sentiment de mystère et d'incertitude, créant une expérience immersive où la frontière entre réalité et fiction, intérieur et extérieur, devient floue.
Il est intéressant de noter que le brutalisme entretient une relation étroite avec l'esthétique des liminal spaces. En effet, le brutalisme partage cette même ambiguïté et cette indétermination inhérente. L'architecture brutaliste se caractérise par une expression visuelle puissante de la transition et de l'entre-deux. Les formes géométriques brutes et massives, les matériaux industriels et les textures rugueuses créent un langage architectural qui transcende les catégories traditionnelles.
Le brutalisme devient ainsi l'expression architecturale des liminal spaces. Les structures brutalistes jouent un rôle de médiateur dans les transitions entre les espaces. Elles créent des zones de passage et de connexion, des endroits où les limites entre intérieur et extérieur, entre les différentes fonctions et les utilisations, s'estompent. Les bâtiments brutalistes mettent également en lumière les zones d'indétermination et de tension, invitant les occupants à explorer les limites et les frontières.
Dans le vaste paysage du jeu vidéo, le brutalisme et les liminal spaces se dressent comme des piliers puissants, résonnant avec une esthétique et une philosophie qui trouvent une résonance profonde dans ce medium interactif. À travers des mondes virtuels et des architectures numériques, ces deux courants artistiques explorent les recoins les plus sombres de l'expérience humaine, capturant notre attention et nous invitant à repenser notre réalité.
Dans le jeu vidéo, le brutalisme et les liminal spaces se marient et se renforcent mutuellement. L'architecture brutaliste devient un véhicule pour les liminal spaces, amplifiant leur impact émotionnel et philosophique. Les moments de transition et d'incertitude prennent une dimension tangible, incarnés dans les formes brutes et les espaces oppressants. Les mécaniques de jeu s'entremêlent avec l'esthétique et la philosophie, créant une expérience immersive où les joueurs sont invités à explorer, à questionner et à se remettre en question.
Alors, continuons cette exploration audacieuse du brutalisme et des liminal spaces dans le jeu vidéo. Allons plus loin, repoussons les limites de la narration, de l'esthétique et de l'expérience immersive. Osons plonger dans les recoins les plus sombres de notre imagination et embrassons la puissance du brutalisme et des liminal spaces pour donner naissance à de nouvelles formes de jeu, de réflexion et d'émotion. Le potentiel est immense, les possibilités infinies. Engageons-nous dans cette quête, et que les mondes virtuels nous guident vers de nouveaux horizons de créativité et de compréhension.
Passionnant décryptage ! Des descriptions qui m'évoquent également la "copied city" de NieR Automata (qui se pose là en termes de liminal space d'ailleurs – sans parler du fameux mod qui avait tant fait parler l'an dernier, avec sa fameuse église cachée https://youtu.be/5_Stzul5XeU )