Kara Stone, née en 1989 à Toronto, s’oriente d’abord vers une carrière dans le cinéma. Très tôt passionnée par les images en mouvement et les possibilités narratives qu’elles offrent, elle intègre l’École des Arts d'Etobicoke, un établissement réputé pour son approche interdisciplinaire, où elle commence à expérimenter avec les formes audiovisuelles. Là-bas, elle développe un goût pour les narrations expérimentales et une attention particulière aux enjeux émotionnels et affectifs qui se dégagent des œuvres filmiques.
Suite à cette première formation, elle poursuit ses études supérieures à York University, établissement reconnu au Canada pour ses programmes innovants mêlant arts, culture et communication. Elle y obtient un Bachelor of Fine Arts (BFA) en production cinématographique, cursus au cours duquel elle approfondit sa pratique du montage, du storytelling visuel et de la mise en scène. Elle s’intéresse notamment aux potentialités critiques du cinéma indépendant, influencée par des réalisateurs expérimentaux comme Maya Deren ou Chris Marker, dont les œuvres interrogent souvent la mémoire, l’identité et la société.
Décidée à enrichir sa compréhension théorique et critique du média, Kara Stone poursuit une maîtrise en communication et culture, toujours à York University. C’est pendant ces années qu’elle se penche davantage sur les théories féministes et queer, la critique des médias traditionnels et les analyses intersectionnelles appliquées à la culture numérique émergente. Cette période marque un tournant décisif dans son parcours : elle y découvre la richesse conceptuelle et politique des jeux vidéo, perçus comme un médium encore peu exploré sur le plan critique et artistique.
Son intérêt croissant pour les jeux vidéo la conduit à l’Université de Californie, Santa Cruz, réputée pour son approche expérimentale et conceptuelle dans l’étude des médias numériques. Là, elle entame et achève un doctorat en film et média numérique, au cours duquel elle investigue la porosité entre le cinéma expérimental et le jeu vidéo indépendant, deux univers partageant selon elle une capacité à remettre en question les formes narratives dominantes. Pendant ce doctorat, Kara développe une approche profondément transdisciplinaire, nourrie aussi bien de théories médiatiques contemporaines que de pratiques artistiques variées, du cinéma expérimental à l'installation interactive en passant par la performance.
En parallèle de sa recherche doctorale, elle commence à créer ses propres œuvres vidéoludiques. Ces créations, teintées d’une sensibilité très personnelle, mettent en jeu les savoirs acquis dans ses études cinématographiques, ses analyses critiques des enjeux sociopolitiques et son exploration des possibilités offertes par les outils numériques émergents.
À l’issue de son doctorat, Kara Stone intègre l’Alberta University of the Arts en tant que professeure assistante. Ce poste lui permet non seulement d’enseigner et de transmettre son approche singulière à de jeunes créateurs, mais également de poursuivre activement ses propres recherches et expérimentations dans le domaine vidéoludique. Dans cette institution, elle continue de développer des projets où cinéma, performance et jeu vidéo dialoguent étroitement, cherchant constamment à dépasser les frontières conventionnelles du divertissement interactif pour explorer des terrains plus complexes et socialement engagés.
Cette trajectoire profondément transdisciplinaire est centrale pour comprendre l’œuvre et la démarche de Kara Stone. Elle y a forgé une sensibilité critique aiguë, une posture conceptuelle forte et une vision artistique du jeu vidéo comme médium profondément ancré dans les enjeux identitaires, politiques, affectifs et écologiques contemporains.
Aux sources de la pratique : santé mentale, genre et affect
Kara Stone inscrit très tôt son travail dans une réflexion profondément intime sur la santé mentale, les représentations du genre et les dynamiques affectives, ce qui façonnera durablement son approche vidéoludique. En 2012, son œuvre initiale, Polaroid Panic, inaugure cette exploration de manière à la fois personnelle et radicale. Ce projet consiste en une série de photographies instantanées réalisées pendant ses propres crises d’angoisse. Ces autoportraits capturés dans l’urgence et l’intensité émotionnelle extrême des attaques de panique représentent un geste brut et poignant, très éloigné des codes esthétiques traditionnels associés aux autoportraits photographiques. L'œuvre est une affirmation de la vulnérabilité et une critique implicite des représentations aseptisées et souvent idéalisées de la santé mentale dans les médias contemporains.
Cependant, c’est véritablement dans le médium vidéoludique que Kara Stone trouve un espace propice à l’expansion et à la radicalisation de ses thèmes privilégiés. Le jeu vidéo lui permet une implication active du public, offrant ainsi une expérience plus immersive et émotionnellement perturbante. Cette possibilité de créer des interactions complexes autour de thèmes difficiles tels que la maladie mentale ouvre de nouvelles voies narratives et sensorielles, jusque-là peu explorées par les médias traditionnels.
Avec Medication Meditation (2014), Stone crée ce qu'elle nomme « un recueil injouable d’activités ». Cette œuvre vidéoludique propose une série de défis ou de tâches censées symboliser le quotidien souvent paralysant et incompréhensible des troubles anxieux ou dépressifs. Conçu comme une expérience volontairement frustrante et impossible à « gagner », ce jeu place le joueur dans une position d'impuissance intentionnelle. Le gameplay se révèle ainsi comme une métaphore directe et brutale des dynamiques intérieures propres à la maladie mentale : impossibilité de se concentrer, fatigue extrême face à des tâches simples, sentiment d’échec permanent. L’impact émotionnel de cette frustration programmée permet aux joueurs de ressentir, même brièvement, une empathie plus profonde envers les vécus complexes des personnes souffrant de troubles mentaux. Distribué par la communauté Dames Making Games, le projet incarne parfaitement sa démarche visant à repousser les limites narratives et interactives du médium pour créer des expériences vidéoludiques radicalement sincères, inclusives et porteuses d'une critique sociale sous-jacente.
La même année, elle explore plus explicitement la thématique du genre et de l'identité corporelle avec Sext Adventure (2014), un jeu narratif interactif basé sur des échanges textuels avec un robot non identifié. Cette œuvre audacieuse déploie un scénario qui oscille entre séduction, maladresse, humour absurde et interrogation profonde des constructions sociales du désir et de la sexualité. Le récit se déploie en une vingtaine de fins possibles, créant une multiplicité d’expériences affectives et sensorielles chez le joueur. Progressivement, le robot lui-même perd ses repères identitaires, questionnant de façon subtile et troublante les normes habituelles de genre et de sexualité, notamment en brouillant volontairement l’usage des pronoms ou des catégories établies. Le jeu propose ainsi une déconstruction minutieuse des attentes culturelles et relationnelles autour de la sexualité et du consentement, invitant les joueurs à réfléchir sur leurs propres représentations et préjugés.
Ces premières œuvres établissent une cohérence thématique forte dans le travail de Stone, où l'intime et le politique se rejoignent dans des expériences vidéoludiques profondément ancrées dans l'affect et le vécu. En abordant sans concession des sujets difficiles et souvent évités par les jeux vidéo traditionnels, Kara Stone crée un langage artistique original et provocateur, qui met en lumière l’urgence de penser autrement les représentations sociales et individuelles des identités marginalisées, des corps vulnérables et des expériences affectives complexes.
Temps, rituel et spatialité : Ritual of the Moon
En 2019, Kara Stone réalise Ritual of the Moon, un jeu narratif et méditatif se déployant méthodiquement sur un cycle lunaire complet de vingt-huit jours. Chaque jour offre au joueur un fragment d'histoire centré sur une sorcière exilée, évoluant dans un univers spatial minimaliste où l'introspection prédomine sur l’action. Le gameplay consiste en interactions délicates et lentes : déplacements subtils d’objets, récitations poétiques et incantatoires, contemplation des changements subtils à l’écran. Ces gestes ritualisés créent un espace propice à la méditation et à l'introspection, établissant une intimité particulière avec l’expérience vidéoludique.
L'approche narrative fragmentaire et la temporalité étendue imposent au joueur un rythme lent, inhabituel dans le contexte de l’immédiateté et de la gratification rapide généralement attendues dans les médias numériques contemporains. Stone ne cherche pas à retenir constamment l’attention du joueur, mais l'invite plutôt à revenir chaque jour, en petites touches, pour approfondir une réflexion intime sur le temps, l'isolement, et l'identité féminine marginalisée. Par cette lente accumulation, elle oblige le joueur à questionner son rapport à la performance, au résultat et à la vitesse, rompant ainsi délibérément avec les conventions dominantes du médium.
En intégrant cette dimension rituelle et performative au cœur même du jeu, Kara Stone redéfinit la notion d'engagement vidéoludique, suggérant que l’interaction peut être contemplative plutôt qu'active, et que le jeu peut être conçu comme une pratique quotidienne apaisante plutôt qu'une compétition permanente avec soi-même ou avec autrui. Le résultat est une expérience à la fois poétique et troublante, qui interroge subtilement les attentes et habitudes des joueurs contemporains face à leur propre temporalité intérieure.
Éthique matérielle : Solar Server et Known Mysteries
Kara Stone inscrit progressivement dans son travail un questionnement radical sur l’éthique matérielle du jeu vidéo, en particulier avec le projet expérimental Solar Server. Initié modestement sur le balcon de son appartement à Calgary, ce projet se présente comme une réponse à la crise écologique et au sentiment d'impuissance face à l'éco-anxiété contemporaine. Concrètement, Stone y déploie un panneau solaire de 150 watts qui alimente un serveur autonome Raspberry Pi, capable d’héberger une série de jeux vidéo soigneusement conçus pour avoir un impact environnemental minimal. Cette installation dépasse la simple prouesse technique ; elle matérialise une forme tangible de responsabilité écologique et critique l'industrie vidéoludique dominée par l’obsolescence rapide et la surconsommation énergétique.
Cette démarche, sobre et ingénieuse, dialogue avec l’histoire du jeu vidéo, rappelant les premières générations de consoles et ordinateurs personnels où la limitation technique devenait source de créativité et de poésie visuelle. Stone revisite cette économie de moyens non pas par nostalgie, mais par nécessité écologique et engagement éthique. Elle met en avant une esthétique de la contrainte, sobre et évocatrice, fondée sur l’idée que l'impact réduit n'implique pas un moindre intérêt artistique ou ludique. Le joueur découvre ainsi une expérience radicalement différente, où le médium lui-même questionne activement ses propres conditions de production et d’existence.
Le projet phare déployé sur Solar Server est intitulé Known Mysteries. Cette œuvre narrative complexe, structurée en trois chapitres distincts, suit une jeune femme engagée dans une enquête introspective sur la mort mystérieuse de ses parents, entremêlant cette quête personnelle à la prise de conscience progressive des enjeux climatiques et écologiques. Le récit, construit à partir de fragments, explore les thèmes du deuil, de la perte et de la vérité, non seulement comme réalités émotionnelles et psychologiques, mais aussi comme métaphores des défis environnementaux auxquels notre société est confrontée.
Techniquement, Stone emploie dans Known Mysteries des matériaux numériques de seconde main (« found footage ») et une esthétique volontairement réduite (« digital compost »). Cette approche résonne avec les principes du permacomputing, un mouvement prônant la durabilité numérique à travers la récupération, le recyclage et la sobriété technique. En embrassant pleinement cette démarche, Stone montre que la création artistique responsable peut à la fois interroger nos pratiques de consommation et offrir des récits profonds et significatifs. Cette combinaison de préoccupations matérielles et narratives fait d’elle une pionnière dans l’art vidéoludique contemporain, questionnant activement la relation entre art numérique et éthique environnementale.
Design conceptuel : contraintes et intention
Kara Stone se distingue par une approche conceptuelle affirmée, où les choix esthétiques et techniques sont systématiquement dictés par l'intention intellectuelle et émotionnelle plutôt que par les attentes traditionnelles du gameplay ou de la performance graphique. Pour elle, le jeu vidéo n'est pas simplement un divertissement, mais une plateforme d’expression critique, émotionnelle et politique. Ainsi, chaque aspect de son œuvre, du scénario aux visuels en passant par les mécanismes de jeu, reflète avant tout une idée, une interrogation profonde, et non une simple recherche d'efficacité technique.
Dans Known Mysteries, Stone privilégie volontairement une esthétique délibérément trouble et fragmentaire, où les images apparaissent brouillées, imparfaites, parfois floues ou pixélisées. Cette esthétique singulière, qui révèle explicitement les processus manuels et techniques employés (scans approximatifs, textures tramées, limitations graphiques), permet à Stone de renforcer conceptuellement son récit. Le fond et la forme s’y alignent parfaitement, puisque la quête intérieure de la protagoniste, complexe et confuse, trouve son écho visuel direct dans cette imperfection assumée. Le joueur se voit ainsi invité à accepter les imperfections et les limites de la représentation, reflétant métaphoriquement l’impossibilité de saisir pleinement les mystères du monde intérieur comme extérieur.
Cette valorisation consciente des contraintes techniques, matérielles et temporelles rappelle l’approche des premiers designers de jeux vidéo, notamment ceux qui travaillaient sur l’Atari VCS ou d’autres systèmes primitifs, limités par leur faible capacité de mémoire et leurs faibles performances techniques. À l’instar de ces précurseurs, Stone embrasse les limites comme une source fondamentale de créativité, non comme une entrave à surmonter à tout prix. Elle voit dans la contrainte une opportunité artistique, lui permettant de recentrer le joueur sur le sens profond du jeu, plutôt que sur une esthétique superficielle ou une mécanique purement addictive.
De fait, son œuvre propose un commentaire implicite sur l'industrie vidéoludique contemporaine, souvent obsédée par la haute définition et la surabondance de contenus, aux dépens d’un discours cohérent ou d’une expérience émotionnelle authentique. Stone plaide plutôt pour une sobriété assumée, une économie formelle et un retour à l'essentiel. Elle revendique ainsi une esthétique du dépouillement, à l'image de ses thématiques introspectives, écologiques et psychologiques. À travers cette démarche conceptuelle, elle interpelle directement les joueurs et les créateurs de jeux sur la nécessité d'une approche réfléchie, consciente et responsable du médium vidéoludique, où l’intention précède la technicité.
Engagement sociopolitique : genre, handicap et collectivité
En parallèle de ses explorations matérielles et esthétiques, Kara Stone développe une réflexion approfondie sur les questions de genre, de handicap, et de diversité corporelle au sein du jeu vidéo. Dès ses premières œuvres, elle revendique une approche engagée qui dépasse le simple acte créatif pour questionner ouvertement les normes dominantes. Le jeu Medication Meditation (2014), créé pour la communauté Dames Making Games, s’inscrit parfaitement dans cette démarche. Conçu comme une collection volontairement injouable d’activités et de mini-jeux, il illustre l’expérience quotidienne de la maladie mentale, défiant les conventions habituelles du divertissement vidéoludique. Ce faisant, Stone affirme un positionnement clair : les jeux vidéo doivent aussi être des espaces où les réalités complexes du handicap et des troubles mentaux trouvent une représentation authentique, échappant aux clichés ou aux simplifications réductrices.
Son implication active au sein de collectifs tels que Different Games, une organisation militant pour l'inclusion des identités diverses dans l’univers vidéoludique, vient renforcer cette posture politique. Pour Stone, le jeu vidéo ne doit pas viser une expérience universelle abstraite, mais plutôt accueillir pleinement des modes d’existence variés, des sensibilités spécifiques, des corps diversifiés. Ainsi, elle défend une vision du jeu vidéo comme pratique profondément incarnée, capable d’offrir des expériences inclusives et adaptées à différents types de joueurs. Elle insiste notamment sur l'idée que l'accessibilité ne peut se résumer à une simple question technique de jouabilité : elle doit devenir un enjeu fondamental de justice sociale, intégré dès la conception du jeu, en pensant activement les besoins de publics marginalisés, souvent oubliés ou sous-représentés par l’industrie traditionnelle.
Stone prône donc une accessibilité profonde, où les jeux vidéo constituent un espace d'expérimentation, de reconnaissance et d’inclusion authentique. Elle développe ainsi une esthétique fondée sur l'empathie et la sensibilité politique, mobilisant le potentiel immersif et interactif du jeu vidéo pour rendre visibles les expériences vécues des personnes queer, en situation de handicap, ou souffrant de troubles mentaux. Ce positionnement radical contribue à transformer le jeu vidéo en un espace social alternatif, un lieu où les identités minoritaires trouvent non seulement une représentation respectueuse, mais également une forme de reconnaissance symbolique et émotionnelle, redéfinissant ce que signifie véritablement jouer et interagir avec un jeu.
Territoire académique : théorie et pédagogie
Kara Stone investit également activement le champ académique, établissant un dialogue fécond entre la théorie critique et ses pratiques vidéoludiques. À travers ses contributions régulières à la revue universitaire Game Studies, elle développe une réflexion approfondie sur les dimensions temporelles et émotionnelles du jeu vidéo en lien avec les identités marginalisées. Son article de 2018 intitulé Time and Reparative Game Design: Queerness, Disability, and Affect est une contribution majeure, explorant les différentes manières dont les jeux peuvent aborder les identités queer et les handicaps en jouant explicitement sur la temporalité, le rythme et les affects.
Dans cet écrit, Stone introduit la notion novatrice de « reparative game design », ou « design réparateur », empruntée aux théories queer et aux approches critiques des études sur le handicap. Ce concept prône des jeux vidéo qui ne cherchent pas uniquement à divertir ou à stimuler de manière immédiate et superficielle, mais qui s'attachent à offrir des expériences porteuses d'une véritable réflexion émotionnelle, éthique et politique. Le jeu vidéo, selon Stone, doit être conçu comme un médium capable de « réparer » symboliquement certaines formes d’exclusion ou d’invisibilisation, en intégrant des rythmes et des temporalités adaptés aux vécus complexes des publics souvent marginalisés par les approches conventionnelles.
Sur le plan pédagogique, en tant que professeure à l’Alberta University of the Arts, Stone met en pratique cette vision critique et inclusive dans ses enseignements. Elle invite ses étudiants à explorer les jeux vidéo non seulement comme un médium interactif, mais comme une forme artistique et sociale à part entière, capable d'exprimer des idées politiques fortes et d’offrir des expériences émotionnelles nuancées. Son approche pédagogique encourage les futurs créateurs à penser activement l’éthique du design, l’inclusion, et l’impact émotionnel et social de leurs productions. Par cette double activité de recherche et d’enseignement, Stone participe activement à l’évolution des études vidéoludiques, en établissant un pont essentiel entre théorie critique et pratique créative engagée.
Une posture créative : l’art comme résistance
Kara Stone incarne une posture créative rare et puissante dans le champ vidéoludique : celle d’une artiste qui envisage son médium non seulement comme une plateforme d’expression esthétique, mais comme un acte profondément politique, social et écologique. À travers chacune de ses œuvres, elle démontre avec force et cohérence que le jeu vidéo peut être à la fois critique, sensible, engagé et porteur d’une esthétique singulière. En inscrivant sa pratique dans les questions cruciales de notre époque – écologie, santé mentale, inclusion, et genre –, elle affirme un engagement radical qui bouscule les normes et ouvre de nouvelles possibilités.
La démarche artistique de Stone se caractérise ainsi par une résistance affirmée aux logiques dominantes du divertissement, de la surconsommation et de l’indifférence écologique. Son travail montre explicitement que les contraintes matérielles peuvent devenir des opportunités créatives, que les limitations techniques peuvent enrichir l’expérience émotionnelle et intellectuelle du joueur, et que la lenteur, la réflexion et le fragmentarisme peuvent être des outils puissants pour questionner notre rapport au monde. Cette vision alternative du médium vidéoludique révèle une profonde dimension poétique et politique dans sa création, encourageant une remise en question constante des modes conventionnels de penser et de créer.
Depuis ses premiers travaux comme Polaroid Panic jusqu’à ses récents projets tels que Solar Server et Known Mysteries, Stone construit un fil rouge cohérent autour de thématiques essentielles : la fragilité humaine, la nécessité d’un rapport réfléchi à l’environnement, et la quête de justice sociale à travers le design inclusif. Son œuvre constitue un appel constant à l’action et à la réflexion, invitant le joueur à repenser non seulement son rapport au jeu vidéo, mais aussi à la société et à la nature elle-même.
En tissant un dialogue fertile entre théorie académique, pratiques matérielles et expérimentations vidéoludiques, Stone enrichit profondément le champ artistique contemporain. Elle propose non seulement des récits ou des jeux, mais de véritables écosystèmes de pensée, des espaces alternatifs où les joueurs peuvent explorer, ressentir, réfléchir et s’engager activement avec les questions cruciales de leur époque. En somme, Kara Stone incarne pleinement l’art comme forme de résistance, utilisant le jeu vidéo pour ouvrir des possibles nouveaux, critiques et poétiques, qui résonnent avec une urgence toute contemporaine.