Review | "Hideo Kojima, aux frontières du Jeu" - Erwan Desbois
"I want my game to teach a message about life"
De plus en plus, nous entendons parler dans le milieu du jeu vidéo d’auteurs. C’est une notion qui était presque abstraite il y a plusieurs années tant les jeux appartenaient à leurs studios et éditeurs et surtout, étaient le fruit d’un travail collaboratif.
Toutefois, les auteurs sont maintenant là et nous prouvent que comme dans d’autres arts, il est possible d’imposer une vision à un jeu, ou même une franchise entière. Parmi ces auteurs, Hideo Kojima est clairement le premier qui vient à l’esprit lorsqu’on parle jeu vidéo. Cela est du en parti à un côté presque absurde de voir son nom absolument partout au cours des génériques de ses derniers jeux - écrit, réalisé, produit, codé, emballé et pesé par Hideo Kojima - mais cela est surtout la résultante d’une chose : ce créateur a su imposer sa vision d’auteur sur des jeux et une franchise majeure dans le paysage vidéoludique.
Qui se cache donc derrière la saga Metal Gear et le fabuleux Death Stranding ? C’est ce que Erwan Desbois essaie de comprendre et analyser à travers son dernier ouvrage “Hideo Kojima, aux frontières du jeu” paru aux éditions Playlist Society.
// Pour plus d’immersion, je vous propose d’écouter “Don’t be so serious” de Low Roar, qui est sur la BO de Death Stranding, pour vraiment vous immerger dans l’univers de Hideo Kojima. //
Playlist Society ?
Il convient avant de lancer complètement dans l’analyse de cet essai de revenir sur son éditeur, Playlist Society. C’est une maison d’édition fondée par Benjamin Fogel proposant des essais dans le domaine de la culture, au sens large.
On trouve ainsi de nombreux ouvrages autour du cinéma pour le moment, ainsi que quelques uns sur la musique et maintenant sur le jeu vidéo avec le présent ouvrage.
Il est compliqué de ne pas trouver ne serait-ce qu’un sujet qui vous plait dans cette collection tant les thèmes abordés ont l’air passionnant : le cinéma de David Cronenberg, le réalisme du cinéma chinois, the Leftovers, l’histoire de Propaganda, Mad Max… Bref, le choix est ultra qualitatif et une autre chose que j’apprécie tout particulièrement est qu’aucun de ces livres ne dépassent les 160 pages, en faisant de fait des essais d’une bonne longueur, sans surplus ou redite. Ils sont tous disponibles pour 14 euros en papier ou 7 euros en numérique.
Inspirations et obsessions : le Cinéma et la Mort
Quand est-il de cette ouvrage sur l’homme derrière Metal Gear Solid ? “Hideo Kojima, aux frontières du jeu” propose de revenir sur l’ensemble de la carrière du game designer, depuis son arrivée chez Konami en 1986 jusqu’à son dernier jeu en date, Death Stranding paru en 2019.
On part donc sur une approche chronologique qui fait totalement sens dans le travail de Kojima tant son impact sur le médium du jeu vidéo va aller de pair avec les évolutions technologiques de celui-ci.
Erwan Desbois commence le livre en faisant le point sur qui est Hideo Kojima, les obsessions qui vont le poursuivre durant tout sa carrière au travers du chapitre Jeux Hideo.
Sa famille, comme tant d’autre au Japon, est marquée par la hantise de l’holocauste nucléaire. Cette terreur ne le quittera jamais vraiment jusqu’à devenir presque obséder par la mort et la fin des temps ainsi que par le corps militaire. Ces différents points seront plus que présents dans tous ses jeux vidéos, ils en seront le coeur avec toute les contradictions et d’ambivalences qu’ils comportent.
Le cinéma aura également une influence sur toute l’oeuvre du game designer. Il raconte notamment avoir très vite pris pour habitude avec ses parents de regarder des films venant du monde entier au rythme de un par jour, cadence qu’il a conservé tout au long de sa vie.
Toutes ces influences sont traitées de manière très intelligente et subtil par Erwan Desbois et nous donne les clés pour comprendre l’oeuvre de Kojima qui nous est expliqué au cours des chapitres suivants.
Kojima et Konami : une histoire d’amour toxique et révolutionnaire
Toute la partie liant Konami à Hideo Kojima est très bien traité sans non plus rentrer dans tous les détails. Cette relation d’amour toxique qui s’est étalée sur presque 30 ans est en effet déjà expliquée dans des dizaines d’autres ouvrages. L’auteur choisi ainsi plutôt d’axer sa réflexion sur les thèmes qui se cachent dans les différents Metal Gear Solid.
Comme il nous expliquait déjà dans la première partie de cet essai, le militarisme est une des obsessions de Kojima et se révélera être au coeur de son travail durant les huit opus qui constituent cette franchise phare du jeu vidéo.
Il revient aussi sur des thèmes plus profond, comme les crises d’identités des personnages, la manipulation et le mensonge des gouvernements, la vanité de la guerre et son inévitabilité et bien entendu, la peur du nucléaire, encore et toujours présente.
Il introduit aussi comment le game designer japonais a su utilisé les technologies dont il disposait pour toujours proposer des jeux plus immersifs, plus prenant, n’hésitant jamais à casser le quatrième mur et forcer les joueurs à prendre du recul sur ce qu’ils sont en train de faire.
Tomber et se relever
Une partie tout aussi importante du livre de Erwan Desbois est dédiée à la dernière oeuvre de Hideo Kojima : Death Stranding.
Il revient brièvement sur la fin de sa relation avec Konami, après cette merveilleuse promesse qu’était la démo PT présenté au cours de l’E3 2014 et qui devait enfin signé le retour de la saga Silent Hill sur le devant de la scène.
Kojima va alors partir et fonder très rapidement son propre studio, Kojima Productions, pour trouver tout aussi vite un partenariat avec Sony pour produire sa prochaine oeuvre : Death Stranding.
Peut-être libéré du poids d’une franchise qu’il n’a pas pu achever comme il le souhaitait, cette oeuvre va marquer une nouvelle génération de joueur. Comme l’explique très bien l’auteur, Hideo Kojima fait évoluer ses obsessions et remplace le fatalisme des Metal Gear Solid par un optimisme et un amour mis en avant dans Death Stranding.
Je dois avouer que je suis biaisé par rapport à ce jeu tant j’entretiens une relation forte avec celui-ci. J’y avais joué juste après être devenu père et en plein milieu d’un des nombreux confinements que nous avons connu en 2020. Autant vous dire que toutes les thématiques abordées par le game designer m’ont touché très directement. BREF.
Desbois nous montre aussi comment Death Stranding est un vrai aboutissement pour Kojima tant il rassemble ses obsessions mais sous une forme bien plus mature. Il ne fait plus que s’inspirer du cinéma, il l’intègre à son jeu (avec la présence de vrais acteurs et réalisateurs pour l’aider) et il parle enfin d’optimisme en finissant son jeu par une naissance, au contraire de nombreux MGS se soldant par des trahisons ou des morts.
Conclusion
L’ouvrage écrit par Erwan Desbois est une vraie référence si l’on veut comprendre ce qui se cache derrière le génie de Hideo Kojima. Sans forcément s’attarder sur les gameplay de tous ses jeux, l’auteur préfère axer sa réflexion sur ce qui a motivé et porté le game designer au cours de toute sa carrière.
Plein des émotions présentes dans chaque jeux, voici l’occasion de rappeler à quel point la saga Metal Gear a révolutionné le jeu vidéo et comment Death Stranding était en avance sur son temps. Voilà un ouvrage qui nous montre comment Hideo Kojima s’est imposé comme l’un des auteurs majeurs du jeu vidéo. Une lecture passionnante écrite par un passionné.
Le livre est disponible à partir du 6 Septembre directement sur le site de Playlist Society au prix de 14 euros en papier et 7 euros en numérique.